Jeudi, je reçois un email dans ma boite aux lettres, Madame la Secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire, vous invite , le lundi suivant, à une réunion concernant vos contributions sur le Projet de Loi Numérique.
En effet, deux semaines auparavant, j’avais participé à la contribution officielle sur la plateforme République Numérique. Pour tester la plate-forme (et ses limites), j’avais proposé un article demandant l’amendement de la Loi Renseignement pour ajouter un juge judiciaire. J’avais également amendé l’article 8 sur le domaine commun informationnel, une tentative de formaliser le domaine public à travers cette loi numérique.
Vendredi donc, j’apporte une réponse positive à l’invitation, en précisant mon vrai nom, me doutant que mon pseudonyme, pourtant utilisé sur la plateforme ne suffirait pas. Le laps de temps étant plus que court, je prends 80€ de ma poche pour m’acheter un billet de train Toulouse-Paris aller/retour et j’appelle ma grand-mère en Ile-de-France pour lui demander de loger chez elle. Vous l’aurez compris, pour le pauvre provincial que je suis, cette réunion s’est faite à mes frais.
Lundi matin, je prends le RER sans encombre, puis le métro 14, nullement impressionné par ce métro automatique car à Toulouse, tous les métros sont automatiques. Descendu station Bercy, je me présente à l’entrée du Ministère de l’Économie. Passage devant les douaniers, leur scanner à rayons X et leur portail magnétique, pour un peu je me serais cru égaré à l’Aéroport Charles de Gaulle.
Une foule se presse devant les guichets invoquant l’argument “Oui bonjour, je travaille ici mais j’ai pas encore de badge”. Arrive mon tour, j’indique avoir rendez-vous avec la secrétaire d’État et présente une pièce d’identité. Brillante idée d’avoir donné mon vrai nom car je n’avais pas de pièce d’identité au nom de Solarus.
Je puis ainsi rentrer dans le bâtiment, traverser la cour pour arriver à l’hôtel des Ministres. Entré dans le bâtiment, on m’indique un ascenseur, que j’emprunte, pour être accueilli au 4ème étage par une secrétaire qui m’indique que la réunion aura du retard et que je peux m’assoir sur le coté.
Arrive alors un majordome, tiré à quatre épingles qui me propose une boisson chaude. Passé l’effarement de rencontrer pour la première fois un majordome, je lui demande poliment un café.
Arrivent trois autres personnes, un libriste lyonnais, un chercheur en philosophie du droit et un représentant du Consortium Couperin, une entité chargé de négocier les achats de publications pour les universités.
L’heure de la réunion vient enfin et nous sommes présentés à deux personnes, le directeur de cabinet du secrétariat d’État au Numérique et le Conseiller au Numérique du Premier Ministre.
Nous nous installons dans la salle, nous présentons respectivement, et arrive Madame la Ministre (oui on dit Mme la Ministre pour une secrétaire d’état maintenant je le sais et vous aussi.
Commence alors la discussion sur les propositions de chacun. Les dispositions les plus consensuelles sont étudiées, comme la défense de l’Open Access et de la révision des délais d’embargo sur les publications scientifiques, propositions défendues par le Consortium Couperin et l’on sens visés en première ligne les éditeurs scientifiques américains comme Elsevier.
Le ton y est franc, j’y perçois peu de langue de bois, ce que l’on pourrait attendre de personnes nommées à de tels postes.
Vient ensuite la discussion sur le logiciel libre dans les administrations. Le camp “ministériel”, pour lui donner un nom, semble emballé par l’idée mais tient à apporter quelques nuances. En effet, si le passage au libre permettra en théorie d’économiser des licences, ce budget devra être réorienter vers de la formation. Il argumentera également sur la promotion de l'auto-hébergement, rendu à l’heure actuel difficile par certains FAI.
Vient le tour de mes propositions. Mon pseudonyme avait été automatiquement remplacé par mon nom de naissance. Visiblement, même le Secrétariat d’État au Numérique a du mal avec les pseudonymes.
Ma première proposition ,un amendement à la Loi Renseignement est vite écartée. La franchise reste de mise, mais une pointe de langue de bois se fait entendre quand vient l’argument suivant : “Cette loi est le plus large consensus jamais vu au Parlement, députés de gauche comme de droite ont voté cette loi”. Abasourdi par cette réponse, j’oublie de leur répondre que cela n’a pas du être compliqué de faire voter les députés de droite, mais qu’à gauche les pressions du Premier Ministre et les consignes de vote ne sont pas étrangères à ce vote.
Nous passons alors au fameux article 8, où l’on m’explique que la définition de domaine commun, que je contestais, à un but précis, ne pas mélanger avec le domaine public (propriété de l’État), car en effet le domaine commun appartient à tout le monde et donc à personne, pas même à l’État. Je concède sur ce point et je sors de cet échange en ayant appris un peu plus sur le sujet.
Vient une dernière discussion sur le NIR statistique, un dérivé du numéro de sécurité sociale à destination des chercheurs. Je m'immisce dans la discussion pour éclaircir un point technique sur les hachages cryptographiques, mais tout le monde comprend aussi bien le risque de l’existence d’un tel identifiant autant du point de vue éthique et cryptographique.
L’entretien se termine, et la ministre s'éclipse au pas de cours, pressé par son agenda (de ministre). Le directeur de cabinet et le conseiller de Matignon nous raccompagnent vers la sortie en nous remerciant.
Un dernier mot sur ce que chacun attend de ce principe de consultation. Je réponds que si une seule virgule d’un citoyen se retrouve dans le texte final voté par le Parlement, ce sera déjà bien. Le conseiller au Numérique de Matignon, plus optimiste pense que des propositions entières seront largement reprises dans le texte final.
Quelques semaines plus tard, la V2 du projet de loi fut publiée. Exit l’article 8 sur le domaine commun informationnel, exécuté par les lobbys de la culture, avant le même le passage devant les députés et les sénateurs. Adieu aussi l’Open Access réduit à peu de choses, où la promotion du logiciel libre, bref de tout ce que nous avions parlé.
Bilan de cette consultation : mitigée. L’exercice parlementaire moderne se prête bizarrement peu à l’expression démocratique. Les agendas serrés, les commissions, les avis préliminaires, les arbitrages ministériels, représentent autant de filtres pour les propositions citoyennes.
Et ce, avant même le passage au Parlement, où la représentation du peuple est en charge de voter les lois. Il est encore trop tôt pour juger du résultat de la Loi Numérique, mais cette consultation aura eu le mérité de montrer que dans une démocratique comme la notre, l’expression citoyenne a un long et sinueux chemin à faire.